mercredi 15 février 2017

Mais que fait la Police ?



Les matins sont différents et à la fois se ressemblent tous. On se lève, on reproduit de manière inconsciente des gestes machinaux ou sciemment des rituels rassurants en se demandant quels évènements viendront composer ce jour nouveau. On embrasse, on remue, on mire, on baille, on murmure, on recommande, on caresse, on claque, on ferme avec dans l’idée un retour sous peu en étant inchangé. Peut-être en ayant évolué, appris, réfléchi ou en s’étant interrogé mais toujours en étant soi-même. 

Ce matin de février, je ne sais pas quels étaient les rituels de Théo. Je ne sais pas d’ailleurs qui est ce jeune homme de 22 ans qui vit à quelques kilomètres de chez moi. Un de ceux qu’on appelle « jeunes de banlieue » comme si cela nous racontait quelque chose. Ce que je sais en revanche, c’est que ses matins ne seront plus les mêmes et que ce matin là, devant son petit-déjeuner ou sous sa douche, il était loin d’imaginer poursuivre sa journée avec une déchirure à l’anus de 10 cm. Rares, me direz-vous, sont les victimes de viol à s’être préparées de bon matin à une telle agression. Mais ce viol qui rendra, quelques temps, le prénom de Théo célèbre retourne par son ignominie de fait autant que par son écho sociétal. 

Tout d’abord car l’agresseur n’est pas banal. Un policier, dit représentant des forces de l’ordre. Ces quelques mots s’imposent comme lourds de sens et d’obligations. Comme celle d’assurer la protection, celle de faire respecter la loi ou encore celle de préserver l’intégrité de tous. Lourdes obligations, ce qui justifie assez bien qu’elles soient confiées à des individus de choix, capables de revêtir l’habit et les obligations qu’il induit. Car sauf à renoncer à une société de droit ; la pression, les conditions de travail ou encore le manque de formation ne peuvent en aucun cas autoriser des actes inhumains. Il est des fonctions pour lesquelles l’exemplarité et l’objectif de perfection s’imposent et ne peuvent souffrir de dérogations. Ainsi, le chirurgien ne pourra passer le seuil du bloc opératoire avec ses problèmes personnels sans être directement et individuellement mis en cause en cas de manquement. Il répétera peut-être cent fois les mêmes gestes sans en diminuer la précision car il s'agit de vies humaines et la lassitude du geste n'est pas acceptée dans son domaine. De même, il devra trouver un autre terrain pour s’insurger du manque d’effectifs de personnels soignants car aussi noble soit la cause et aussi juste soit la plainte, elles ne peuvent faire débat au péril de vies étrangères aux enjeux incriminés. 


Je ne sais pas quel matin a pu connaître le policier mis en cause, ni qui il est. Je ne sais pas non plus comment on peut dans l’exercice de ses fonctions en venir à commettre les gestes dont il est accusé. Néanmoins, ce dont je ne doute pas c’est que celui-ci a évolué dans un environnement « cautionnant ».



D’abord un environnement immédiat. Car évidemment, l’agresseur en uniforme n’est pas intervenu seul. Le jeune homme relate dans son témoignage une interpellation « musclée » par 4 agents de police  avec injures, crachats, coups, etc. Bref tout l’attirail du défouloir à ciel ouvert, déjà nous sommes loin de l’état de droit et déjà nous sommes loin d’une intervention policière. Lorsque 8 mains font gicler le sang d’un homme à terre, le déséquilibre tue la raison pour laisser parler la rancoeur. Une rancoeur entretenue par l’environnement policier qui s’enlise dans une version manichéenne du monde qu’il s’est créé avec d’un côté les très logiquement Bons puisqu’on leur a confié des armes et tout être de raison sait qu’on ne confie pas une arme à n’importe qui et de l’autre les Mauvais, la vermine. Ceux-là même qu’ils sont condamnés à pourchasser chaque jour, ceux qui les insultent chaque jour et qui nuisent à la société. Ces autres qui n'ont pas vraiment valeur d’homme. Mais d’ailleurs, qui sont-ils ces autres ? On ne sait pas trop mais il semblerait qu’ils logent dans les mêmes quartiers et aient des caractéristiques ethniques similaires. Cela doit bien suffire pour savoir à qui nous avons affaire. L’heure n’est plus aux détails.



Ils ne peuvent le verbaliser en société mais cela est de notoriété publique comme le prouve le fait que les autres policiers ayant commis des faits similaires ne soient pas réellement condamnés ou jugés comme l’aurait été tout autre individu ne faisant pas partie du corps policier. La société protège toujours les bons et la justice s’applique pour les justes. Ainsi, le rapport rendu par l’IGPN au Parquet fera même preuve d’originalité en invoquant non pas un viol mais des violences en l’absence d’intention sexuelle...La pénétration sans intention sexuelle pourrait donc constituer une échappatoire pour tous les violeurs en herbe (veiller tout de même à porter un uniforme bleu pour donner du poids à cet axe de défense). Même la Juge d’instruction ne pourra soutenir la mascarade puisqu’elle retiendra le viol pour l’un des policiers.



Une attaque en règle et caricaturale de la police, une généralité un peu facile ? Dure à défendre quand sur 4 hommes aucun ne décèle l’inhumanité et lorsque les garde-fous de la société de droit dans laquelle nous nous targuons de vivre s’organisent pour masquer le crime.

Le policier ne se serait pas octroyé le droit d’agir comme cela avec un individu identifié comme un de ses semblables, un être de la société, sans histoire, un individu qui ne porte pas les stigmates de la sous-société qu’il côtoie chaque jour.


Au-delà de l’environnement immédiat, le traitement institutionnel ne manque pas de gangréner les perceptions à l’échelle de la société. Ainsi, au lendemain des faits, plusieurs médias relayant l’information s’empressaient de préciser que le jeune Théo n’avait pas de casier judiciaire. Les faits devenaient donc d’autant plus atroces qu’il s’agissait d’un jeune sans histoires, un bon jeune de banlieue finalement qui défendait son ami. Que devait-on comprendre ? Pour un jeune au casier légèrement griffonné, l’humiliation anale aurait-elle pu être tolérée, du moins davantage justifiée. Peut-être qu’à la prochaine amende pour non paiement de stationnement, l’officier de police qui vous prendrait sur le vif en cas de récidive pourrait se laisser aller à une petite gifle...pour vous inciter à ne pas recommencer, parce qu’après tout la justice et les règles de société, c’est bien mais une bonne atteinte à l’intégrité physique par un représentant de la force avant l’ordre, c’est mieux.



Dans le même temps, comme dans un théâtre de guignols, certains politiques que je ne prendrai pas la peine de nommer, piétinent l’horreur subie par un pair (ou peut-être ont-ils eux aussi oublié de le considérer comme tel) et la vie brutalement tourmentée d’un jeune homme ;  pour de nouveau stigmatiser « la banlieue » qui s’enflamme en guise de contestation puisqu’il faudrait en plus que le grand brûlé cesse de gémir pour ne pas heurter les oreilles du pyromane.



Les notions de bien et de mal se modèlent et se formatent au gré des passions et s’insinuent dans des esprits de moins en moins farouches qui s’émeuvent volontiers d’actes délictueux sans incidences sur leur quotidien et dans le même temps hésitent à condamner, au moins moralement, les donneurs de leçons qui briguent le pouvoir. Ceux qui appellent à la disparition des acquis sociaux afin de préserver une caisse dans laquelle ils se sont largement servis à des fins personnelles. 



Si les matins de Théo ne seront plus les mêmes, d’autres seront encore plus moroses qu’avant. Ceux des autres, ceux qui n’auront certes pas vu leurs vies basculer de la même manière mais qui peuvent craindre d’appartenir à cette masse. Cette masse jamais nommée mais aux caractéristiques similaires, reléguée au ban de Paris ou d’autres grandes villes aux lumières qui attirent mais qui brûlent pour ne pas se laisser approcher...par tous. Cette masse composée de « minorités » majeures dont on ne fait pas cas. Cette masse dont on se sert pour effrayer, masquer des réalités. Cette masse qui revendique son droit à l’individualité car il n’y a rien de pire que de voir son statut d’homme nié pour être noyé dans un tout sans nom, sans âme, sans sens. Parfois quelques vérités éclatent, trop difficiles à cacher et au potentiel médiatique trop fort pour être ignorées. Néanmoins, sans justice, les affaires d’Adama, Théo et des autres dont on ne parle pas ne resteront qu’un grand déballage à sensations fortes jeté aux visages des victimes et de leur entourage. 



Dans ce cas, quels messages pour ceux qui commettent et s’enlisent dans cette impunité qui incite à la récidive ? Quels messages pour ceux qui subissent et condamnés au silence comme dans cet illustre mauvais rêve où vous êtes pourchassés ou subissez les pires horreurs sans pouvoir hurler ? Quels messages pour ceux qui observent et lisent les préjugés comme des vérités ? Ces questionnements font savoir que cette affaire, n’est pas une autre affaire de banlieue ou une autre bavure policière mais bien une affaire de société qui marquera des choix, mettra en balance des valeurs, posera des fondamentaux comme le cas échéant, celui d’affirmer que toute vie n’a pas la même valeur. Peut-être qu’il conviendra alors de revoir la devise de la République française qui n’a de cesse d’être mise à mal.



En attendant le verdict, les matins de certains seront hantés de nouvelles questions. Serai-je, ou mon fils ou ma fille sera t-il ou elle, le ou la même ce soir en rentrant ? Il ne fait pas bon vivre du mauvais côté de la barrière. Reste à savoir où celle-ci sera placée.


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