S : Je pense que tu me
rappelles mon enfance. Les veillées nocturnes avec mon frère, les dissertations
d’Olivier Cachin, les roublardises afin de déroger au couvre-feu parental et
pouvoir découvrir tes dernières créations. Je me souviens du jour où tu m’as
présentée Mc Solaar dans son clip Bouge
de là lors d’une de ces échappées de nuit, bien avant que cette ritournelle
n’envahisse la cour d’école. Si les enfants baignent, subissent ou se forgent une
culture musicale aux grés des influences
des parents, la mienne a été largement influencée par mon frère dont tu
semblais être le seul Dieu et qui très jeune m’a présentée à toi. Dès le
premier regard, j’étais conquise.
Rap : Pourtant, je crains que tu ne me sois pas toujours restée
fidèle…
S : Tu connais mon goût pour
la diversité. Je me suis abandonnée à d’autres pour danser quand je te trouvais
trop triste, pour m’amuser quand je te trouvais trop sérieux ou quand tu
m’ennuyais. Malgré tout, je suis toujours revenue car seul toi savais me parler,
comprendre ma complexité et me détendre quand tu relâchais la pression.
Rap : J’ai pourtant l’impression que tu t’éloignes.
S : (silence). Je ne sais
pas…Je ne crois pas. Je pense que je vieillis. Je suis déphasée, peut-être
dépassée. Peut-être que je te comprends moins ou que le souvenir de nos bonheurs
passés ne m’aide pas à accepter le temps qui passe. Parfois, j’ai l’impression
que tu t’égares, tu te perds, tu t’essouffles dans ta course à la gloire ou… à
la reconnaissance. Puis, un beau matin, tu parviens encore à me surprendre.
C’est pour cela que je suis encore là.
Rap : Tu ne vas pas, toi aussi, me reprocher mon approche plus…
« universelle »
S : Loin de moi cette idée.
C’est ce qui m’a toujours plu chez toi. Ce subtil mélange de qualités et de ce
que certains peuvent voir comme des défauts. Tes transgressions ont toujours
été transcendées à mes yeux par tes qualités.
Lorsque tu jouais les arrogants
égocentriques, j’étais séduite par les sonorités de ta voix, ton rythme, ton
art de manier le verbe. Lorsque tu t’abandonnais à la vulgarité et que parfois
tu écorchais mes oreilles féministes par des propos misogynes, je restais
fascinée par cette rage mise en musique pour dénoncer un mal être bien plus
profond et alimenté par les travers de nos sociétés. Et puis, la provocation
offre bien souvent une belle tribune. Mais ce qui a scellé mon amour fidèle
restera à jamais ton aisance à manipuler, extraire le pouvoir des mots…Bref,
ton amour de la langue française. Certaines de tes réflexions qui ne manquent
pas de punch m’ont souvent laissée sans voix. Ceux qui te désignent comme à
l’origine d’une « sous-culture » te connaissent bien mal…
Rap : Tu sais que certains nous trouvent mal assortis
S : Pfff. Encore des gens
qui ne te connaissent pas et s’arrêtent à ton apparence ou du moins celle que l’on
te prête. Devrais-je renier ma féminité pour être en accord avec leurs
préjugés…
Rap : Qu’est ce qui te touche encore chez moi ?
Ta fraîcheur, ton engagement pour
des causes qui me sont chères, ta manière d’imposer la gravité en toute
frivolité ou simplement lorsque tu me fais passer un bon moment.
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